En désespoir de cause et devant l’impossibilité de débloquer cette situation administrative, j’ai contacté deux politiciens en lien avec nos deux cantons, Rebecca Ruiz et Mathias Reynard, qui répondront négativement à mon appel à l’aide sans me donner une lueur d’espoir, ni même l’assurance qu’ils considèrent cette situation comme problématique. En substance, ils rejettent la faute l’un sur l’autre. Pourtant, les deux sont membres du parti socialiste qui indique dans ses valeurs : « Le PS veut une économie au service de l’homme et non l’inverse. »

Les guerres intercantons ne m’intéressent pas. Parce que si les cantons se désolidarisent les uns des autres dans des politiques indépendantistes, il faudrait dès lors considérer ma grand-maman comme une émigrée qui cherche à rejoindre sa terre natale. Dans ce cas, une demande de regroupement familial devrait pouvoir être formulée. L’ironie est que si ma grand-maman était américaine, française ou indienne, elle pourrait être rapatriée vers nous, sur Vaud, en tant qu’être « à charge ». Il devrait y avoir une justice entre citoyens et citoyennes suisses quelque soit le canton d’origine ou de résidence.

Mathias Reynard

En octobre, je me décide à contacter Mathias Reynard (membre du parti socialiste, conseiller d’État du canton du Valais depuis mars 2021, actuellement à la tête du Département de la santé, des affaires sociales et de la culture (DSSC)).

Pour lire le mail que je lui ai envoyé, cliquez ici.

Entre le code civil et des éléments administratifs difficilement compréhensible pour moi, Mathias Reynard balayera mon appel à l’aide dans une réponse qui manque cruellement d’humanisme. Cliquez ici pour lire son mail

Son message commence pourtant par un encourageant :

Votre grand-maman a la liberté de déménager et de résider dans un EMS vaudois

En lisant ceci, j’ai eu un espoir : avait-il trouvé une solution ? va-t-il faire une exception ? mon calvaire est-il terminé ? La réponse est non. Mais il me faudra 5 relectures de ce mail qui brasse des articles de lois dans un langage administratif complexe et l’avis d’un spécialiste pour en comprendre le sens.

Effectivement, ma grand-maman est libre de changer d’EMS mais elle n’en a pas les moyens, c’est le constat auquel je suis déjà parvenue et qu’il me résume dans les points centraux de sa réponse. De plus, le nombre d’EMS vaudois, comme me le signifiera Rebecca Ruiz, est limité et les places accordées en priorité à des résidents du même canton.

Je reçois cette réponse comme une gifle. Imaginez une personne qui meurt de faim. Lui diriez-vous : « mais tu as bien le droit de manger tu sais » (bien sûr, il n’y a plus de nourriture ou tu n’as pas les moyens d’en acheter mais ceci n’est pas mon problème).

La seule personne qui pouvait m’orienter ou m’aider finira par les salutations habituelles et un « j’espère sincèrement que vous trouverez rapidement une solution » qui me semble difficile à avaler :

Les règles mises en place selon les différentes législations sont strictes et il n’est pas possible d’y déroger ou de faire des exceptions, mais j’espère sincèrement que vous trouverez rapidement une solution qui convient à votre grand-maman et votre famille et vous présente, chère Madame, mes cordiales salutations.

Non, M. Reynard, vous le savez très bien ; vous étiez ma seule solution.

Ma réponse publique à Mathias Reynard

19 octobre 2022

Cher Monsieur,

J’ai bien réceptionné votre mail qui m’a posé de nombreux problèmes de compréhension : ce langage était-il volontairement déshumanisant ? Est-ce qu’en vous camouflant derrière une rhétorique administrative et une langue de bois, vous cherchiez la cachette idéale pour éviter cette petite fille et cette grand-maman qui crient leur souffrance ? Alors que je cherchais « un être humain dans la foule », j’y rencontre un « sans âme ».

En vous lisant, j’ai réalisé que mon agonie au sein de votre administration n’est donc pas terminée… En substance, les articles de lois et les éléments administratifs que vous citez semblent être les mêmes que j’avais déjà à ma connaissance ; il n’était pas nécessaire de me les rappeler. Là où un langage simple et humain aurait été apprécié, vous avez choisi le style pompeux et hermétique du fonctionnaire. Au final, je retiens de votre mail deux éléments qui m’apparaissant être une faute de goût importante pour un politicien qui se dit philanthrope.

« Votre grand-maman a la liberté de déménager et de résider dans un EMS vaudois » ; cette astuce rhétorique me blesse. Car, comme vous le savez, elle en a la liberté mais pas les moyens ni la possibilité ; en d’autres termes, c’est un droit interdit. Je vous propose, par rhétorique mais aussi avec une sincérité teintée de panache, de venir débattre du concept de liberté dans un tea-room de Saillon. Je vous y attends, sans animosité, avec ma grand-maman dont la vivacité d’esprit ne pourra certainement pas nous départager sur la question mais je suis persuadée que sa présence peut amener une certaine clarté philosophique.

Et votre « j’espère que vous trouverez rapidement une solution » ; je vous ai écrit en dernier recours et vous le savez. Vous ne m’offrez rien, aucune piste. J’entends que « les règles mises en place selon les différentes législations sont strictes » mais n’est-ce pas votre travail en tant que membre du parti socialiste et chef du département de la santé de vous battre contre les lois qui oppressent les plus faibles ? Si vous ne pouvez rien faire, qui le peut ?

Dans votre campagne, vous citez la constitution « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ». En lisant cela, j’ai ressenti une grande colère contre ce que vous représentez. Les mots qui me sont venus : « How dare you ! »

Je vous cite encore « que l’on soit malade ou en bonne santé, aisé ou démuni, jeune ou âgé, la Suisse et le Valais ont les moyens d’assurer une vie digne » là encore : « How dare you ! »

J’ai vu ma grand-maman hier. Je suis partie à 8h30 de la maison, j’ai pris 5 transports publics différents ; après 3 heures de trajet, j’arrive à l’EMS pour découvrir son regard hagard qui se demande qui je suis. Pendant 45 minutes, elle me dira maintes et maintes fois son bonheur de me voir, moi « sa nièce », sa surprise de recevoir une visite. En partant, elle me lance un regard un peu plus vif que d’habitude « mais… tu me laisses là ? » (mais oui grand-maman, on se reverra dans un mois…) 45 petites minutes teintées de désespoir et je repars en sens inverse, 5 transports publics… Je serai de retour à la maison à 15h30, éreintée. Au total, cette petite visite m’aura coûté 70 chf et 7 heures de mon temps. C’est inadmissible ! c’est humainement inacceptable ! Chaque jour où ma grand-maman ne reçoit pas de visite et meurt de solitude est un jour de trop !

Je refuse de me satisfaire de votre réponse ; si ma Grand-Maman doit subir cette torture sans qu’aucun politicien ou aucune politicienne ne se préoccupe de son sort, je m’engage à porter sa voix afin qu’elle devienne un martyr. « L’affaire grand-maman », ce n’est pas une blague ; pour moi c’est le symbole de la médiocrité de notre Confédération dans sa manière de traiter les personnes âgées. Parce que « la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres » et qu’en tant que représentant du système, vous êtes directement responsable de ne pas prendre au sérieux une telle injustice qui supplicie l’un de vos sujets les plus faibles.

Les règles mises en place selon les différentes législations sont strictes mais votre rôle est d’y déroger ou de faire des exceptions; j’espère donc sincèrement que vous trouverez rapidement le brin d’humanité qui conviendra à ma grand-maman et ma famille et vous présente, cher Monsieur, mes cordiales salutations.

Rebecca Ruiz

Le jour où je tourne le petit film dans lequel j’expose l’histoire de ma grand-maman, Rebecca Ruiz répondra à mon mail. Pour lire sa réponse, cliquez ici.

Encore une fois mon appel à l’aide reste sans espoir mais, au moins, Rebecca Ruiz m’aura répondu dans un langage humain et sincère. Toutefois, je n’accepte pas plus sa réponse que celle de M. Reynard. Il est impossible qu’une telle situation en reste au statut quo.

Contact : grandmaman@etik.com