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« La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres »

Ces mots qui sont inscrits dans notre constitution résonnent durement dans mon coeur tandis, que chaque jour depuis une année et demie, j’assiste médusée à la souffrance et à la solitude de ma grand-maman qui meurt seule en Valais.

Après des mois de démarches administratives laborieuses et exténuantes, le verdict est tombé : il est impossible de rapatrier celle que j’aime auprès de moi. Elle restera condamnée à l’isolement tandis que l’oubli s’empare de son esprit.

L’histoire de Micheline

Cette grand-maman, c’est celle qui m’a élevée quand j’étais petite. Elle s’appelle Micheline. C’est celle qui n’hésitait pas à se déguiser en clown pour mon anniversaire, même si cela la gênait un peu. Elle réparait Teddy, mon ours rose – vestige du passé qui trône encore dans mon lit – quand je l’avais trop rongé et qu’il en perdait « ses plumes ».

Elle a vécu toute sa vie dans le Canton de Vaud avec mon grand-papa. Il y a seulement quelques années (fin 2017), ils ont déménagé en Valais ; ma grand-maman avait déjà fait 3 AVC et la maison qu’ils habitaient à Chavornay devenait trop compliquée à entretenir. Sur un coup de tête, mon grand-papa l’embarque pour le Valais ; ils aiment tellement la montagne qu’ils rêvent d’une retraite main dans la main dans ces paysages merveilleux. Le rêve est de courte durée. L’année passée, mon grand-papa décède du COVID (cliquez ici pour découvrir cette histoire), pour ma grand-maman c’est le choc ; sa santé en prend un coup.

Dans l’urgence, elle est placée dans un EMS à Saillon et depuis j’essaie de la ramener sur Vaud pour prendre soin d’elle, sans succès.

Ma maman et ma tante vivent en France, mon oncle à La Chaux-de-Fonds. Pour ma part, j’habite dans la campagne vaudoise, proche d’Yverdon. Pour nous tous, il est extrêmement difficile de faire les trajets pour rendre visite à celle qui nous a élevés. Nous souffrons du syndrome des mauvais enfants ou de la méchante petite-fille ; ce sentiment de culpabilité… au quotidien, c’est dur. C’est 3 à 4 fois par semaine minimum que ma grand-maman devrait pouvoir voir une tête connue ! À la place, c’est 1 à 2 fois par mois qu’elle me voit.

Ma Grand-Maman et son fils, Jean-Claude, à l’enterrement de mon Grand-Papa / Photo : Guillaume Perret

Elle est sénile ; sa mémoire est de plus en plus fragile. Parfois, elle me regarde et pense que je suis sa fille, d’autre fois sa nièce, et encore, parfois, je vois cette inquiétude abasourdie dans son regard face à cette inconnue qui l’appelle « grand-maman ».

Je crains bien que, si une solution n’est pas rapidement trouvée, je ne pourrai plus profiter de ces rares moments où elle se rappelle encore de moi et où nous pouvons évoquer nos souvenirs. Peut-être que c’est déjà trop tard.

Vous n’imaginez pas à quel point écrire ces mots m’accable. Pour aller la trouver, il me faut environ 6h en transports publics aller-retour alors que, sur place, la visite dure environ 30 minutes car elle fatigue vite. J’ai essayé de m’y faire, de travailler dans le train, mais c’est épuisant et inconciliable avec ma vie personnelle et professionnelle. Pourtant, c’est à moi de prendre soin d’elle aujourd’hui, comme elle a pris soin de moi durant mon enfance.

3 raisons qui font que Micheline doit être rapatriée sur Vaud dans les plus brefs délais

  • Sa famille et ses amis habitent sur Vaud. Ses frères et soeurs sont âgés, ils ne peuvent pas faire un si long trajet ; elle ne les a jamais revu.
  • Elle a vécu toute sa vie sur Vaud, elle a travaillé, cotisé dans ce Canton. C’est ici que sont ses racines.
  • Elle ne peut pas être suivie en orthopédie en Valais car l’hôpital refuse de la soigner (pour plus de détails, lire le témoignage de Nicole). Les trajets jusqu’au CHUV (qui a accepté de prendre en charge les soins) sont longs et néfastes pour sa santé.

Un manque de reconnaissance

Tandis que maman travaillait, mes grands-parents s’occupaient de moi toute la semaine quand j’étais petite. J’ai été choyée et bichonnée. Leur seule petite fille : une vraie vie de princesse. J’ai toujours été la petite fille à son grand-papa, « grand-papa par-ci », « grand-papa par-là », « moi je veux aller avec Grand-Papa »…

Quelle petite fille ingrate… Ma grand-maman, elle était plus réservée. C’était une femme des années 50 qui dépendait financièrement de son mari, qui m’expliquait qu’une épouse doit rester soumise à son homme. Elle n’a pas fait d’études, seulement l’école ménagère. Elle m’a emmenée à la montagne, elle m’a appris à repasser, à faire des gâteaux.

Grâce à elle, j’ai découvert la lecture très jeune. De plus, elle a pris le temps de m’offrir cette éducation respectueuse dont j’essaie d’être à la hauteur.

Je me souviens de cette phrase que je disais parfois : « quand je serais grande, je serais femme au foyer comme grand-maman. » Si mes rêves ont changé, mon affection n’aura fait que croître en grandissant et en réalisant ce qu’elle m’avait donné.

Cette grand-maman, c’est aussi celle qui a décidé de prendre sa belle-mère à la maison pendant ses dernières années pour lui éviter la solitude d’un EMS. Si son état de santé le permettait, j’aurais aimé la prendre chez moi. Malheureusement, elle a besoin de soins en continu.

Elle est donc restée dans l’ombre toute une vie à s’occuper de sa belle-mère, de ses enfants et de sa petite fille. Une femme du care, comme beaucoup d’autres ; c’est-à-dire, une femme qui prend soin de ceux qui l’entourent, sans jamais rien demander en retour. Elle ne criait pas, ne grondait presque jamais. Elle récupérait toujours les sachets de sucre et les crèmes du café car « il n’y a pas de petites économies » ; je ne l’ai jamais vue avec des vêtements onéreux ou du maquillage. Sa gestion du foyer passait par l’épargne et la modération. Elle récupérait des pièces de 10 centimes ou 20 centimes, qu’elle mettait dans des « rouleaux ». Quand elle arrivait à 20 CHF, elle me les donnait avec cette autorité qu’il ne fallait pas contrarier. Même quand la sénilité a commencé à embrumer son esprit, elle s’inquiétait de savoir comment nous faire un cadeau. Elle avait toujours un petit billet qu’elle nous donnait en douce (« tu diras pas à ton grand-papa sinon il va me gronder »).

Son métier, c’était de s'occuper des autres ; elle n’a jamais pris de vacances pour ça… 

Tout cela pourquoi ? Quelle reconnaissance la société lui offre-t-elle aujourd’hui ?

Elle vit à Saillon, isolée de tous. Parce qu’elle a vécu deux années en Valais avant la mort de mon grand-papa, elle n’a plus la possibilité de venir sur le sol vaudois, là où sont ses racines, ses amis et sa famille.

Je suis persuadée qu’aujourd’hui, il n’y a pas d’êtres qui demandent plus de protection que ma grand-maman ; sa santé est médiocre, elle n’arrive plus à marcher, elle est surmédicalisée car c’était le seul moyen de calmer sa colère et sa tristesse de se retrouver seule en EMS. Il y a une année, elle parlait, elle se plaignait : « pourquoi vous me laissez seule ici » « je ne veux pas être là moi ! »

Aujourd’hui, les benzodiazépines ont muselé sa colère. Quand je vais la trouver, elle est seule dans sa chambre ; elle regarde le mur. Elle bouge à peine et ne me reconnait pas. Les médicaments la maintiennent dans un état végétatif qui me donne à chaque fois envie de hurler ma rage contre un système qui m’interdit de pouvoir décemment l’accompagner dans son deuil et sa vieillesse. À chaque fois que je quitte l’EMS, j’espère secrètement qu’elle mourra bientôt pour que son supplice prenne fin.

Contact : grandmaman@etik.com 
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